Comme chaque année, la Ville de Nantes commémore la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions. Expositions, spectacles, projections, débats… jusqu’au 30 mai, plus de 47 événements sont organisés dans les quartiers nantais et dans la métropole. Une manière forte, collective et engagée de faire vivre cette mémoire.

Pour en décrypter les enjeux et les différents temps forts, nous avons interviewé Olivier Château, adjoint au patrimoine de la Ville de Nantes.

L’engagement de Nantes sur la mémoire de l’esclavage

Pourquoi est-ce important pour Nantes aujourd’hui de continuer à commémorer la traite et l’esclavage ?

C’est en effet extrêmement important d’abord parce que la traite et l’esclavage occupent une place particulièrement marquante dans l’histoire de Nantes qui a été le premier port négrier de France. Or nous avons la conviction que plus on connaît son histoire, plus on la regarde en face, plus on est en capacité d’envisager les défis qui sont devant nous. Cette commémoration doit nous permettre de nous souvenir des erreurs, des injustices du passé pour nous aider à ne pas les reproduire. L’actualité internationale nous montre combien sont grandes les tentations et tentatives de remettre en cause l’Histoire, la connaissance, les sciences, la recherche. Voilà pourquoi les temps de commémoration ont un rôle à jouer.

Qu’est-ce que vous souhaitez transmettre à travers ces journées de commémoration en 2025 ?

Nous souhaitons donc à la fois transmettre une histoire mais aussi des valeurs, celles qui doivent nous animer dans les combats contemporains contre toutes les formes de discriminations. L’enjeu de transmission est en effet au cœur de ces journées de commémoration, et c’est aussi pour cela que nous y donnons une place centrale aux jeunesses. A ce titre je me réjouis tout particulièrement que des classes aient travaillé une prise de parole pour la cérémonie du 10 mai de cette année tout comme je suis heureux que Manon Bresch ait accepté d’en être l’invitée d’honneur.

Comment faites-vous pour que les habitant·e·s se sentent concerné·e·s, notamment les jeunes ainsi que les personnes issues de l’histoire coloniale et autres descendant·e·s d’esclaves ?

Pour se sentir concerné, il est nécessaire de connaître cette histoire. Son partage passe par des actions de médiation aux contenus et formes diverses. La diversité des partenaires permet l’expression de toutes les mémoires et met en éclairage des points de vue complémentaires.

La diversité s’exprime également dans les formes d’expression : conférences, expositions, concerts, stages, films ou podcasts. Ainsi chacun peut y puiser le contenu qu’il souhaite sous la forme qui lui convient le mieux.

La question des lieux de diffusion est également importante afin de toucher un public en proximité. Cette année encore plus que les autres années, un grand nombre de centres sociaux culturels, médiathèques ou maisons de quartiers accueillent des événements : Dervallières, Bottière, Perray-Haluchère, Boissière, Nantes nord, Malakoff, Bourderies….

Pour sensibiliser les jeunesses à cette histoire, la Ville soutient des parcours éducatifs et culturels au sein des établissements scolaires. Ainsi cette année, près de 200 jeunes nantais ont pu visiter les salles consacrées à la traite au musée d’histoire et le mémorial. Ils ont ensuite été accompagnés par des compagnies artistiques ou des associations d’éducation aux médias pour mettre en voix des récits et leurs regards sur cette histoire.

C’est donc cet ensemble d’actions qui concourent à sensibiliser et faire connaître l’histoire de la traite et de l’esclavage.

Est-ce que vous travaillez avec d’autres villes ou pays sur cette mémoire-là ?

La Ville soutient de nombreux acteurs qui travaillent sur les trois continents comme par exemple Les anneaux de la Mémoire. Cette année, dans le cadre de la Saison France-Brésil, le centre Claude Cahun accueille des artistes brésiliens qui racontent à travers leurs photographies les discriminations vécues par les populations noires au Brésil. lls mettent en lumière les luttes quotidiennes de ces personnes contre un racisme hérité de la colonisation et de la période de l’esclavage.

Au niveau national, en lien avec la Fondation pour la Mémoire de l’esclavage, la Ville travaille en réseau avec d’autres villes au passé lié à la traite atlantique comme La Rochelle ou Bordeaux. Johanna Rolland a récemment signé un appel avec ces deux villes afin de contribuer au redressement d’Haïti par la réparation morale et financière.

La programmation et les choix de cette année 2025

Quelles sont les associations et autres structures impliquées dans la programmation 2025 ?

En 2025, 74 acteurs associatifs et institutionnels se sont investis dans la construction de la programmation culturelle autour du 10 mai. Il s’agit :

On pourrait également citer le réseau des médiathèques, les radios associatives… Sans oublier les acteurs jeunesses qui sont nombreux, cette année, à avoir mener des temps de médiation en direction d’enfants et de jeunes. Des acteurs de tous horizons qui s’emparent en mai des mémoires et de l’Histoire de la traite et de l’esclavage. Elles et ils s’engagent pour les rendre visibles et donner leurs éclairages sur la période et ses héritages. Je les remercie de leur précieux investissement.

Quelques exemples de leurs propositions ?

La programmation 2025 est riche d’événements variés avec une cinquantaine de propositions tout au long du mois de mai. Cela sera l’occasion d’aborder la question de la place des femmes dans l’Histoire de la traite et de l’esclavage comme ça sera le cas avec :

L’exposition « Demen Limyé Jayi » de l’artiste Jessica Lundi-Léandre qui sera installée au centre socioculturel la Bottière du 28 avril au 16 mai et dont chaque tableau est une invitation à la réflexion sur la manière dont la dimension spirituelle et les luttes pour la liberté se sont entremêlées pour forger l’identité haïtienne. L’artiste proposera également au mois de mai, un atelier de pratique artistique destiné aux enfants, le 17 mai de 15h à 17h au Fonds documentaire Tissé Métisse.

  • Les héritages de la période avec par exemple :

Des stages de danses Gwo Ka pour transmettre par le corps les héritages de la période. Ils seront animés par l’association Nou Ka Dansé le samedi 24 mai à partir de 15h au centre socioculturel des Bourderies.

  • Les liens entre la période de la traite, de l’esclavage colonial et les discriminations, le racisme avec notamment :

La projection du film « Ernest Cole, photographe » de Raoul Peck proposée par le Festival des 3 Continents en partenariat avec Mémoire d’outre-mer au Cinématographe, le 14 mai à 20h30. L’occasion de mettre à l’honneur ce photographe sud africain qui a documenté la violence de l’apartheid.

Pourquoi avoir choisi Manon Bresch comme grande témoin cette année ? Qu’est-ce qu’elle représente pour vous et pour la mémoire de l’esclavage ?

Manon Bresch est reconnue pour son engagement actif dans la préservation et la transmission de la mémoire de l’esclavage. Membre honoraire de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage, elle a participé à la campagne #CestNotreHistoire en 2021, marquant les 20 ans de la loi Taubira qui reconnaît la traite et l’esclavage comme crimes contre l’humanité. ​ Elle a également été membre du jury lors des éditions 2023 et 2024 du concours, qui vise à sensibiliser les jeunes à l’histoire de l’esclavage à travers l’art oratoire.

Le rôle de grande témoin est important dans la cérémonie car cette dernière témoigne de son engagement et peut par ces paroles mobiliser les plus jeunes sur le devoir de mémoire. De par son parcours, Manon correspond à toutes les valeurs et l’engagement que la Ville souhaite transmettre aux jeunes nantais et aux jeunes nantaises.

Quel sera son rôle pendant les journées de commémoration ? (va-t-elle prendre la parole, créer quelque chose, participer à des événements ?)

Manon Bresch a accepté de témoigner de son engagement pendant la cérémonie officielle du 10 mai. Elle sera également présente la veille avec l’ensemble des jeunes qui ont travaillé sur cette histoire afin qu’ils puissent échanger sur la question du devoir de mémoire.

Est-ce que d’autres artistes ou personnalités d’outre-mer ou d’Afrique seront invités cette année ?

Plusieurs partenaires ont invité des artistes d’autres continents :

La portée de l’évènement 2025 et ses suites

 Quelles retombées espérez-vous de cette édition 2025, tant sur le plan local (cohésion sociale, reconnaissance des mémoires) que national ou international (rayonnement, partenariats, échanges) ?

Effectivement, la programmation culturelle autour du 10 mai a pour objectif de favoriser le vivre ensemble en reconnaissant l’ensemble des mémoires liées à cette histoire. L’événement favorise un dialogue intergénérationnel et interculturel, en rassemblant différentes communautés autour d’une mémoire partagée. Cela contribue à apaiser les tensions, reconnaître les blessures du passé et construire un avenir commun. Cette édition met en lumière les parcours, récits et héritages des descendants des esclavisés, souvent invisibilisés. En donnant la parole aux habitants, aux associations et aux artistes locaux, Nantes réaffirme son engagement à assumer son histoire.

Nantes a été précurseure dans la reconnaissance de son passé. En mettant en avant des actions innovantes ou exemplaires, Nantes consolide son rôle de pôle national de réflexion et de pédagogie autour de la mémoire de l’esclavage.

D’un point de vue international, il est intéressant de noter que des délégations africaines ou américaines sont présentes de manière régulière pour la cérémonie afin de comprendre la politique mémorielle menée par la Ville. Ces présences permettent la mise en place de partenariats riches avec les autres continents et favorise une mémoire partagée à l’échelle mondiale.

Un article réalisé avec la contribution d’Anna Faou (Chargée de mission vie associative et citoyenneté, la ligue 44) et de Gaëlle Caudal ( Responsable des partenariats scientifiques et culturels – Direction du patrimoine et de l’archéologie, Ville de Nantes).

crédit image : 10 mai 2025 | Mémorial de l’abolition de l’esclavage – Nantes